Thibaud Taillant cinéaste défricheur

Le réalisateur revient sur son parcours entre Châteauroux et Vietnam

par Nicolas Tavarès

Installé au Vietnam depuis 11 ans, le cinéaste Thibaud Taillant vogue de clips de stars du rap local en courts métrages primés à l’international. Entre les deux rives, il défriche et initie.

Thibaud Taillant s’étonne. «C’est étrange de raconter un peu toute sa vie…» La sienne mérite pourtant qu’on s’y intéresse. À 49 ans, il a emprunté bien des routes et pas mal de chemins de traverse qui lui ont régulièrement imposé des pauses, «des prises de recul, des sas de décompression pour se protéger» lâche le cinéaste castelroussin. Depuis la mi-décembre, Thibaud est au cœur de l’une de ces pauses, attendant le début d’une nouvelle histoire. «Je me ressource à Châteauroux. Mais Saïgon me sonne régulièrement et je ne veux pas lâcher l’affaire avec le Vietnam.» Voilà onze ans qu’il s’y est installé. Le fil d’une histoire d’amour – «mon ex femme y avait trouvé un job, je l’ai suivi quelques mois plus tard pour une première année sabbatique. L’oisiveté, c’est un luxe, mais c’est aussi une dynamique qui te relance.»

Come back dans le Châteauroux de la fin des années 80. «J’ai toujours voulu faire du cinéma. Un ami faisant partie de la cellule audio-visuelle du lycée Pierre-et-Marie Curie était venu me chercher pour jouer dans un film. Finalement je l’ai écrit, tourné et monté et nous avons gagné un prix au festival du film d’école de Valenciennes.» Simultanément, il y a LA rencontre. Quelques années durant, Thibaud Taillant et la regrettée chorégraphe Mylène Riou mettent leurs pas dans la même trace. «Nous avons été un peu le Pygmalion l’un de l’autre, mais Mylène m’a mis le pied à l’étrier en termes de création. Nous collaborions à l’écriture de ses spectacles. Elle était reconnue pour la qualité de son école de danse, mais l’a-t-on reconnue pour ses qualités de dramaturge ?» Lui le fait. Il y aura « Les Attracteurs Étranges », co-création avec 7 ou 8 acteurs, 30 danseuses, des copains pour la figuration, jouée à deux reprises au château de Sarzay «où le public croyait venir assister à un son et lumière alors que nous présentions quelque chose inspiré du manga. C’était hybride. Et ça n’a pas pris !» Sourire… Viendra aussi « 9-17 » «L’histoire d’un  type absorbé par son travail avec 50 personnes sur la scène de la salle Racine.» Un travail global à quatre mains. Souvent, pendant l’entretien, Mylène Riou réapparaîtra, inspiratrice en creux du parcours de Thibaud.

Collaborations télévisuelles

Passé par le Conservatoire libre du Cinéma français à Paris, il tente de faire produire des scenarii et, malgré quelques pudeurs au départ, finit par collaborer pour la télévision. «Des produits courts pour Cartoon Network avec mon frère Alexis, qui a aujourd’hui sa boîte de prod, Wendigo Films, à Paris. « La Vache Rosa », ce qu’on appelle des magnétos, pour l’émission de jeu Intervilles…» Arrive « Duelle« , court-métrage primé à Turin, à Londres, sélectionné à Sienne et récompensé au festival numérique au Seoul Film Digital Festival. Thibaud se sent pousser des ailes : «J’ai alors essayé de faire un long métrage, « À hauteur d’homme », mais ça n’a jamais abouti. J’avais pourtant rencontré Asia Argenton à Milan. Ça a été un échec long et terrible…»

La parenthèse se referme. Retour à Hô Chi Minh Ville que les Vietnamiens continuent d’appeler Saïgon. «Au bout de quelques mois, mon ex femme parle de mon parcours au prof de notre fils Demian à l’école française de Saïgon et je me retrouve à mettre en place un atelier d’écriture, tournage, montage avec des CE2 et CM1.» Il en résulte deux films « Le maître des couleurs » et « Superstition » qui seront projetés dans une vraie salle de cinéma. Un autre chapitre va ensuite s’ouvrir. Entre 2008 et 2012, le cinéaste travaille avec deux rappeurs vietnamiens Wowy et Nah et réalise des clips à plus de 15 millions de vue… Il réunira les deux sur « Sai Gon Dep Lam« Thibaud s’impose de travailler avec des équipes vietnamiennes, parce que «du frottement entre les différences résulte une énergie. Nous avons participé à « 48h » où tu dois écrire, tourner, monter un film en deux jours. Sur 10 prix, on en rafle 7. On participe aussi au « Sci Fi Vietnam » avec Nah pour « Last Generation«  et là, on ramasse 9 prix sur 12 !» 2017 sera l’année corporate du cinéaste, « de l’alimentaire » pour la chaîne hôtelière de luxe Victoria, une pub web pour Disney mais surtout deux projets caritatifs avec le Centre Médical International et l’Institut du Cœur du Professeur Alain Carpentier. «Une fiction et un doc (l’émouvant « E Ban » ci-dessus). Carpentier est quelqu’un de fantastique. Avec un autre cardiologue, ils ont formé des chirurgiens vietnamiens qui, à leur tour, ont formé des Sénégalais.» Cette constante passation des savoirs qui lui tient tant à cœur et jalonne ses projet. À 18 ans, Demian, son fils qui l’a déjà assisté, veut justement entrer dans une école de cinéma. Il n’y a pas de hasard.

Les Américains ce terreau si fertile

L’année dernière, bien qu’à des milliers de kilomètres de Châteauroux et très occupé par son actu personnelle, Thibaud Taillant n’a rien manqué des différentes commémorations saluant l’incontournable présence américaine dans l’Indre. «C’est une source d’inspiration qui mérite mieux que des commémorations poussiéreuses sans originalité. C’est un vrai thème créatif. Dans cette présence, il y a en effet un anachronisme réel, poétique et mythique. C’est une anomalie de l’Histoire. Mais le retranscrire, avant même penser en faire un film, impose un long travail d’écriture. Il faut laisser la chose mûrir» estime pour l’heure le cinéaste.

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