Toute la musique qu’il aime

Christian de Tarlé et EPM, éditeur de disques à Châteauroux

par Nicolas Tavarès

Ancien de chez Sony Music et Universal, Christian de Tarlé s’est installé à Châteauroux où il dirige EPM. Il raconte un pan de l’histoire de l’industrie du disque.

Christian de Tarlé est assis sur un trésor musical. Littéralement. À quelques encablures du centre-ville de Châteauroux, ses bureaux d’EPM Musique sont posés sur 60 à 70 000 CD qui s’entassent sur les étagères. Accéder à l’éditeur impose un parcours du combattant. Pour le rejoindre, il faut en effet traverser un garage encombré de cartons. Grimper un petit escalier. Enfin dépasser une pièce sombre dans laquelle sommeille l’intégrale de « Signé Furax », vieux feuilleton radiophonique regroupé en coffrets CD, encore. Vous voilà enfin dans le saint des saints d’EPM. Deux bureaux, en fait, ceux de Christian de Tarlé et son associé Dominique Queré. Posé près de l’ordinateur, l’encyclopédie de la chanson française des années 40 à nos jours. Au mur, la couverture de « Gainsbourg par ses interprètes », paru aux Éditions Éponymes. C’est là, en plein Berry, que Christian de Tarlé a entamé une nouvelle vie en 2006 lorsqu’il est venu s’installer avec son épouse dans une résidence secondaire devenue principale. L’avant Châteauroux baignait dans les paillettes du showbiz à Paris. D’abord chez Sony (ex CBS de 1986 à 1994) puis chez Universal (de 1994 à 2006). Christian était en charge de l’unité baptisée « Special Marketing », une taskforce qui exploitait jusqu’au dernier morceau des catalogues des maisons de disque. «Cette unité s’est mise en place au moment de l’explosion du CD qui venait remplacer le 33 tours. Il fallait s’occuper du catalogue. J’ai créé les marques « Boulevard des Hits » puis « Rockline ». Nous sortions des coffrets. Rééditer des compilations, c’était très facile, surtout avec le répertoire français.»

Christian de Tarlé s’intéressera aussi à l’international avec les compils de Toto ou Earth Wind and Fire. Il aura également à gérer – plus un concours de circonstance qu’autre chose -, un album de Dick Rivers, Jordy (« Dur dur d’être un bébé ! ») ou Aqua (« Barbie Girl ») après avoir longtemps travaillé avec Michel Polnareff. «Entre 1988 et 1990, ça a été un véritable âge d’or.» L’industrie du disque surfait sur la vague en vivant largement au-dessus de ses moyens tandis que les disquaires disparaissaient les uns après les autres. «En mai 1988, les maisons de disque ont eu accès à la pub TV. On s’est mis à faire n’importe quoi. Les gens ont toujours cru que ce monde était fait de machines immenses alors que c’était, pour la plupart, des microsociétés.»

Un monde centré sur lui-même et pas vraiment bien placé pour humer l’air du temps. Ce qui devait arriver arriva : «En 2000, personne n’a vu venir le numérique. Chaque maison faisait son truc en proposant son propre support. Chez Sony on a tenté le mini-disc. Polygram a fait la cassette numérique (DCC). Nous n’étions pas préparés, et le marché du CD s’est effondré.» Entraînant dans sa chute une flopée d’employés. «Comme d’autres, j’ai été viré. Ça a été violent. Les salaires délirants, c’était terminé.»

EPM Musique repris en 2008

Son salut, Christian de Tarlé le trouvera dans le Berry. Après deux parenthèses professionnelles sans lendemain, l’évidence s’impose : «Je ne pensais pas revenir dans le domaine de l’édition. Mais finalement, je n’ai pas été capable de rebondir dans un autre univers. J’étais un type d’exploitation de catalogue.» En 2014, EPM et son catalogue de plus de 1000 références cherchent un repreneur. Christian de Tarlé sera celui-là. Avec une petite poire pour la soif, au cas où : «En 2008, j’ai créé les éditions Éponymes centrées sur le livre audio et le livre jeunesse parce que je ne sais pas où ira le support disque et le marché du livre se porte quand même mieux. Mais depuis deux ans, nous n’avons plus rien sorti !»

C’est que Christian de Tarlé, 55 ans désormais, a du pain sur la planche : «Je sors cinq à dix disques par mois. Là, on va faire du Fréhel. Et j’ai également sorti toute une collection de coffrets qu’Universal ne pouvait pas gérer avec les royalties et les droits tombés dans le domaine public.» Dix coffrets de 5 CD à 10 € ont ainsi filé dans les bacs. Du Johnny Cash, du Charles Trenet, du Elvis Presley, du Ella Fitzgerald ou du Ray Charles. Pas forcément la tasse de thé de la jeune génération, mais qu’importe. Christian s’adapte aussi aux nouvelles technologies. «Aujourd’hui, le numérique représente 15 à 20% de mon chiffre d’affaires. Et puis il y a le streaming qui monte jusqu’à 40 000 écoutes/jour selon les titres. C’est rentable puisque mon fournisseur est présent sur les grosses plateformes. Le streaming c’est le top. C’est devenu mondial. Si en plus tu as un titre sélectionné dans les playlists alors là c’est le jackpot. C’est un autre métier, mais j’ai la chance de faire un boulot que j’aime. Je fais les disques que j’ai envie d’avoir chez moi.»

Chez lui, justement, Christian de Tarlé estime posséder quelque 40 000 albums. Et ce qui fait la force du catalogue d’EPM, outre Anne Sylvestre qui lui assure 20 autres pour cents du chiffre d’affaires, c’est d’avoir la main sur la réédition du patrimoine sonore. Pour les tenants de la chanson populaire, cela s’apparente à une véritable mine d’or. En plein Berry, à ciel fermé dans un hangar anonyme.

Au soutien des artistes


«Il y a beaucoup d’artistes qui n’intéressent plus les maisons de disque. La ligne que nous développons avec EPM, c’est donc d’accompagner des artistes qui tournent, parce qu’ensuite ils vendent leur disque. C’est ainsi que ces artistes existent encore.» Émerger, c’est la volonté d’autres. Christian de Tarlé ouvre alors la parenthèse Ziako, l’auteur-compositeur issoldunois que EPM distribue : «Il a une belle énergie. J’ai été séduit par ça et j’ai envie de lui faire franchir un palier. Je l’aide à distribuer son album (ndlr, « Né en voyage »), mais lorsqu’on n’est pas une major et qu’on est loin de Paris, ce n’est pas toujours simple.» Alors l’éditeur et l’artiste travaillent main dans la main pour percer ensemble.

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