La châtaigne masquée

Jusqu’au bout le fruit à piquants va trembler pour sa fête à Éguzon

par Nicolas Tavarès

En cette année particulière Éguzon-Chantôme s’est accroché coûte que coûte à la tenue de la 35e édition de sa fête de la châtaigne.

Imagine-t-on le mouton à cinq pattes sans le cinquième pied qui l’a rendu célèbre ? Et bien à Éguzon-Chantôme, c’est pareil. Il est inconcevable de passer l’année sans la fête de la châtaigne. Alors depuis la fin de l’été, Jean-Paul Thibaudeau, nouveau maire de la commune, et tous ceux qui s’investissent dans l’organisation du rendez-vous – autant dire tout le village, mais surtout le comité de la châtaigne, la ville et la Communauté de communes Éguzon-Argenton-Vallée de la Creuse – tendent le dos, compulsent les protocoles sanitaires et envisagent tous les plans possibles pour que le rendez-vous de la Toussaint tienne le haut du pavé.

Le jour de notre rencontre, l’édile courait partout prêt à aller brûler un cierge si nécessaire pour que les dossiers déposés en préfecture pour la foire aux bestiaux du 19 septembre et la fête de la châtaigne du 31 octobre soient validés par les autorités. C’est qu’en 34 éditions, la châtaigne d’Éguzon s’est taillé un joli succès public : «Il y a 260 bénévoles, un salon de la randonnée avec une trentaine d’exposants… Avec la crise du Covid, nous prenons extrêmement de précautions en étendant la manifestation sur plus de rues ; il y aura des plexiglas au salon de la randonnée et le restaurant sera isolé pour offrir plus d’espace aux visiteurs.» Et puisque la châtaigne est véritablement l’affaire de tous dans la commune, Frédérique Cave, principale du collège Saint-Exupéry a été désignée référente Covid pour l’occasion. Bref, qu’Éguzon-Chantôme fasse l’impasse sur la fête de la châtaigne et c’est un pan de l’histoire du lieu qui s’effondrera en partie.

Les châtaigniers ont plié

Jean-Paul Thibaudeau : «Au XIVe siècle, Éguzon était un gros centre de production à la fois pour le fruit, pour le bois et pour le tan (Wikipédia et Carré Barré sont heureux de vous informer que le tan est la poudre grossière utilisée pour la transformation des peaux en cuirs, fabriquée en réduisant l’écorce de l’arbre, ndlr). La maladie de l’encre avait eu raison de la tradition. Il y a une trentaine d’années, nous avons décidé de recoudre cette blessure.» Dans ces conditions, l’élu refuse d’être confronté à l’inconcevable : «Comment vont faire les festivaliers d’Avignon ou d’ailleurs. Ce n’est pas facile de se relever d’une fête qui ne se fait pas !»

Alors les châtaigniers d’Éguzon-Chantôme ont passé le début de l’automne à plier sans penser à rompre. C’est que la châtaigne n’est pas une simple date au calendrier. La célébration s’appuie sur la présentation de produits de qualité, porte au pinacle le circuit court, joue l’innovation avec des concours, et aère les passionnés à coup de randonnées dans les alentours. «On sait déjà que les ravitos n’auront pas la même convivialité, mais on promet trois jours denses avec les forains, les expositions, les bandas. Cette fête est une véritable promotion de notre territoire.» Où le patrimoine est entretenu à coup de plantaisons régulières de châtaigneraies qui permettent la récolte de près d’une tonne quatre de fruits chaque année. Alors ce n’est quand même pas une pandémie qui va mettre à mal la fierté de tout un village!

Fête de la Châtaigne à Éguzon
31 octobre et 1er novembre
www.fete-chataigne-eguzon.com

Jean et son bogue à 1 200 cure-dent

Qui dit fête traditionnelle, entend confrérie qui l’accompagne. La fête de la châtaigne n’échappe pas à la règle et s’appuie sur la sienne, une société de capés du bogue dont Jean Allilaire, Jeannot la Bricole pour les intimes, est toujours l’un des fervents animateurs après en avoir été le président. À 79 ans, Jean connaît tout du fruit du châtaignier. «Il y a très longtemps, le châtaignier, c’était véritablement l’arbre à pain d’Éguzon. Avec une espèce bien particulière qu’on appelait la patouillette, une petite châtaigne avec beaucoup de goût !» Depuis sa création il y a une trentaine d’années, la confrérie s’attache à replanter l’arbre sur des parcelles communales, «une cinquantaine dont vingt commencent maintenant à donner des fruits. On a même acheté une ramasseuse de châtaignes pour nous faciliter la récolte.» Chaque année, Jean et ses amis intronisent de nouveaux membres dans un esprit de fraternité qui, Covid oblige, risque fort de disparaître cette année. «Ça va être compliqué», convient celui qui conjugue sa passion avec la création de bogues en bois. «D’ailleurs, savez-vous combien il y a de piques sur un bogue ? 1200. C’est en tout cas le nombre de cure-dent qu’il m’a fallu pour reproduire un bogue. Ce sont des pièces très longues à réaliser.» Mais quand on aime la châtaigne…

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