Les thés dansants refroidissent

Guincher dans une guinguette : une mode en perte de vitesse

par Nicolas Tavarès

A Luant, un parquet attend les danseurs pour cinq dates cet été

Deux ans que les guinguettes de l’Indre lustrent leur parquet en attendant le retour des danseurs. Les thés dansants demeurent, mais après le COVID on embrasse beaucoup moins sa cavalière.

C’était un monde qui résonnait aux airs de musette, de cha-cha-cha ou de valse parisienne. Un lieu où Quentin Laroche, les Compagnons du Musette, Laurent Berroyer, Samuel Hidier ou Étienne Denormandie faisaient guincher jusqu’à pas d’heure. Le parquet chauffait l’après-midi sous les pas de couples endimanchés. Ils tournaient à l’envi juste après avoir dégusté l’entrecôte frites et une petite part de tarte.

Pendant deux ans, les thés dansants se sont tus à cause du COVID. La parenthèse pandémique refermée, des orchestres n’y ont pas résisté. «L’esprit guinguette reste, mais les habitudes ont changé» regrette Fabrice Guillot, accordéoniste brennou au carnet de bals amaigri. Son ami Joël Mahéo, gérant de la Guinguette de Belle-Isle à Châteauroux, l’accompagne dans l’analyse : «La génération qui venait aux thés dansants a du mal à se renouveler. Malheureusement, je pense que les bals sont appelés à disparaître. D’ailleurs, je réfléchis fortement à arrêter les thés dansants cet été pour les reprendre à l’automne.» Car si les musiciens jouent, les danseurs ne sont plus forcément au rendez-vous. En tout cas moins qu’avant. Du haut de ses 64 ans, Joël Mahéo a déjà connu la fin des parquets. Pour la saison, il va basculer vers les dîners-concerts : «La clientèle a moins envie de danser quand la chaleur est là.»

Luant investit dans un parquet

Fabrice Guillot anime les thés dansants de la région

Au bord de l’étang Duris, à Luant, l’Association Pêche et Animations persiste et signe, malgré tout. Au printemps 2019 elle avait engagé de grands travaux et aménagé un parquet. Il est toujours là et depuis début mai on y organise en alternance soirées années 80, lotos, concerts ou thés dansants. Franck Jean, salarié de l’association, ouvre le dancing et propose un ticket d’entrée à 10 € «avec un service de pâtisseries. Au départ nous avions uniquement ciblé l’activité pêche, mais un jour, profitant de la chaleur, nous avons fait une guinguette. Ça a plu. On a donc commencé à louer un parquet. Comme ça montait en puissance, il a fallu investir. Ce qu’on a fait il y a quatre ans.»

Cette année, cinq guinguettes sont programmées avec Quentin Laroche. «Quentin et son orchestre ont résisté, se félicite Fabrice Guillot. Musicalement, c’est solide. C’est quasiment le seul orchestre qui reste.» L’accordéoniste, lui aussi, a changé son instrument d’épaule. «Avec Laurent Berroyer ou en solo, j’avais jusqu’à 80 dates par an. Cette année, je n’en ai plus qu’une vingtaine. La clientèle des thés dansants baissait déjà avant le COVID. Les gens venaient entre copains, à quatre, cinq ou six. Certains en ont perdu. Ceux qui restent ne viennent plus danser. Et puis de nouvelles habitudes ont été prises pendant la pandémie.»

L’élément aquatique

A la Guinguette de Belle-Isle, à Châteauroux, les thés dansants font de moins en moins recette

Fabrice insiste cependant : l’esprit guinguette est toujours là. Il répond à certains critères. Le premier d’entre eux, l’élément aquatique. Rivière ou étang, il faut de l’eau dans le décor. Ajoutez une bonne table «avec une cuisine simple» dit Joël Mahéo. Un orchestre renommé fera le reste. «Au plus fort, j’ai fait tourner jusqu’à 25 orchestres tout au long de l’année. On vient parfois de loin pour danser, se souvient le restaurateur. Notre plus gros problème, c’est que nous manquons de cavaliers. Pourtant des guinguettes, il en faudrait plein !» Mais la dure réalité s’impose : les thés dansants résistent mal à l’air du temps. Le charme désuet de l’esprit guinguette s’évapore. Qui se souvient, aujourd’hui, de Jean Gabin chantant « Quand on s’promène au bord de l’eau »…

Gégène, le rêve de Fabrice


Depuis 14 ans, Fabrice Guillot est un habitué de la Guinguette de Belle-Isle. « La guinguette, c’est tout un esprit, une culture : gapette, foulard de titi parisien, nappe à carreaux rouge, guirlande de lumières et fanions ! C’est aussi une cuisine traditionnelle. Et puis surtout, un point d’eau pour la promenade. Il m’est arrivé d’aller jouer dans une « guinguette » qui était en fait un parquet posé au milieu d’une zone industrielle… Mon grand regret, c’est de ne pas avoir pu jouer « Chez Gégène » à Joinville, la plus ancienne de France, ou au « Martin Pêcheur » à Champigny. Elles font partie des onze guinguettes labellisées dans l’Hexagone. Mais pour ma part, je ne veux plus faire de bals. C’est de la fatigue, de gros frais de déplacement. Je préfère me tourner vers les concerts. » Pour le trouver sur scène, surveillez les dates du groupe festif Les Vieilles Sacoches dans l’agenda. Derrière l’accordéon, c’est lui.

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