Bio un peu, humain beaucoup

Parce qu’huissier n’était pas un plan de carrière, Gaëtan Favard est devenu épicier

par Nicolas Tavarès

Vous aurez beau tracer tous les plans que vous voudrez, la vie est bien faite comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Gaëtan Favard s’est vu un temps huissier. Le voilà maintenant épicier. Drôle de trajectoire. À moins que ce soit le lot des hommes de paradoxes. Lui en est un, assurément. Ça lui est tombé dessus dès la naissance, en fait. Lorsque l’on voit le jour à Montbrison (Loire), aux portes du Forez et à une cinquantaine de kilomètres du stade Geoffroy- Guichard, sauf à dire que c’est une légende urbaine, on a forcément du sang vert qui coule dans les veines et un coeur qui bat au rythme des exploits de l’AS Saint-Étienne. À 54 ans, l’homme vous prend pourtant à contre-pied : «Je n’ai jamais été piqué de foot. Je n’ai même pas l’accent des gens de la Loire !»

Un homme de paradoxes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Paradoxe, toujours : pendant près de 25 ans, Gaëtan a tenu la charge d’huissier de justice, «mais ça n’a jamais été une vocation !» confesse-t-il aujourd’hui. En grossissant le trait, le seul bénéfice qu’il en a tiré, c’est d’avoir découvert l’Indre : «Lorsque l’on termine ses études, un huissier ne peut pas s’installer où il veut. Fraîchement diplômé, je suis tombé sur l’annonce de Thierry Madrelle, huissier à Buzançais, qui cherchait un associé.» Ainsi devient-on berrichon. Paradoxe, encore. En 2006, Gaëtan, désormais associé dans une étude de Châteauroux, décide de vendre ses parts pour un break de deux ans au Maroc avec son épouse. Quand la mode voudrait qu’on choisisse Marrakech, le couple préfère poser ses maigres valises à Fez, «le berceau culturel et religieux du royaume où le tourisme n’est pas très développé. Finalement, au bout de deux ans, on n’a pas exploité le projet et nous sommes rentrés.» Un petit Gabin arrivera quelques mois après le retour en France, suivi, en 2011, de Capucine.

Comme il le dit si joliment, Gaëtan va alors «rechausser les chaussons d’huissier jusqu’en 2017 où je revends définitivement mes parts pour une nouvelle aventure.» 2017, son annus horribilis : séparation, tentative puis renoncement à acquérir une nouvelle étude, interrogations sur sa capacité à opérer un virage professionnel… Avec le recul, le regard qu’il porte sur le métier permet de mieux comprendre sa décision : «Huissier, on connaît la misère alors que l’on est en situation de nanti. Il y a un décalage entre deux conditions. On traverse tous des périodes difficiles ; je n’avais plus envie d’être la troisième lame qui passe.»

À l’écouter se raconter, Gaëtan Favard laisse entrevoir quelques fêlures, mais ce sont surtout ses valeurs qui apparaissent au grand jour. Un ami : «Il était un huissier gentil, humain.» Le mot est lâché : l’humain, c’est sa ligne directrice et ses employées de l’Espace Bio ne diront surtout pas le contraire. Lorsqu’elles l’ont vu arriver à la tête de la supérette, alors installée dans le quartier Saint-Jacques à Châteauroux, Sabrina, Cécilia ou Catherine ont vite compris que Gaëtan n’était pas du métier. «Les premiers jours, il nous a raconté ce qu’il faisait avant. Dès le début, on l’a appelé chef !» raconte l’une des salariées. Le genre de chef que l’on chambre gentiment à l’heure d’installer les légumes sur les étales. Celui à qui on peut se confier, même si cela touche au plus intime.

Management coopératif

«Ne connaissant pas le domaine, je me suis appuyé sur une équipe. Je comprends que je ne suis pas forcément simple à saisir, mais je crois avoir une vision évolutive de la structure. J’ai une bonne équipe, nous sommes sur un modèle de management coopératif. Je dis ce que je voudrais, j’indique le chemin, mais je laisse mes filles s’organiser. Oui je les appelle mes filles.» La voix s’étrangle légèrement, les yeux s’embuent de larmes. Il reprend : «Lorsque j’ai racheté l’Espace Bio à Mme Deschatrettes, il y avait une très belle clientèle, mais vieillissante. Je voulais faire du magasin un lieu de vie, mais pour cela, il fallait que je trouve un nouvel endroit.» Ce sera le show room de la Maison du Bricoleur refait à neuf avec pignon sur boulevard.

Et le bio dans tout ça ? : «Je ne suis pas radical autour de cette agriculture. Mes convictions sont plutôt autour des valeurs humaines qui s’entremêlent avec l’agriculture biologique. Je me sens surtout l’âme d’un commerçant. Et là, nous sommes passé d’une supérette à un magasin vivant.»Ne parlez surtout pas de supermarché, Gaëtan perdrait son sourire. «J’ai l’ambition de le transformer en tiers lieu. Mon rêve ultime, ce serait d’en faire des halles privées avec un boucher, un fromager. J’ai aménagé un espace avec un piano pour que les gens prennent la main dessus. Ce magasin devrait être comme un hall de gare. Bientôt il y aura un espace restauration. Les gens savent ce qu’ils viennent trouver ici, moi je veux qu’ils y trouvent un moment sympathique. En fait, je veux qu’il y ait plein de madeleines de Proust pour les clients.»

L’Espace Bio ultime n’est pas loin. Gaëtan Favard se laisse toutefois rattraper par un paradoxe. Un de plus : «Je ne me vois pas ici jusqu’à la retraite. Je suis dans la transmission. Mais ça, je verrai avec les filles.»

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