Retour en Résistance

La professeure de danse Nadia Coulon remonte un spectacle intimement lié à son histoire

Il est des gestes qui ont les mêmes conséquences qu’un battement d’ailes de papillon. Le «coup de pied au cul» d’un officier allemand, asséné en 1942 à l’adolescente qu’était alors Madeleine Riffaud, poussa celle-ci à entrer en Résistance. Quatre décennies plus tard, la professeure de danse Nadia Coulon chorégraphiait la biographie de Madeleine (« On l’appelait Rainer », 1995), spectacle réécrit cette année pour devenir « La Rose Dégoupillée » qu’elle présentera le 10 septembre prochain sur la scène d’Équinoxe pour marquer le 80e anniversaire de la Libération de Châteauroux. À distance temporelle, un lien fort s’est ainsi constitué entre les deux femmes.

Quand la guerre forgeait le destin de Madeleine, Nadia, d’une autre génération, grandissait avec les récits de ses aînés. L’histoire du grand-père paternel, maire communiste de Saint-Priest-la-Feuille (Creuse), mort en déportation à Buchenwald. Celle de l’autre grand-père, cheminot et communiste. Celle, enfin, d’un père résistant et réfractaire. «Enfant, tu entends tout le temps parler de ça sans jamais avoir d’explications. J’ai grandi avec ces histoires. C’est devenu le fil rouge de ma vie.» Jusqu’à créer un spectacle de danse contemporaine, cette passion dont Nadia a fait profession. Elle a enseigné le modern’jazz à des centaines d’élèves dans son école. Ce sont certaines d’entre elles qui l’ont ramenée à sa destinée familiale au début de l’année dernière, nous y reviendrons. Car c’est d’abord grâce à son père que Nadia Coulon a croisé la route de Madeleine.

Pour le congrès de l’ANACR

Retour en 1995. Membre de l’Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance, Gilbert Coulon demande à sa fille de préparer un spectacle pour le congrès national de l’ANACR organisé à Châteauroux. «Je suis tombée sur « On l’appelait Rainer » et j’y ai trouvé le scénario du spectacle. J’ai découpé les scènes qui pouvaient être dansées et John Boswell (auteur-compositeur aujourd’hui enseignant à la Philharmonie de Paris, ndlr) a travaillé toutes les musiques. Il manquait l’autorisation de Madeleine.» Nadia rencontre la résistante devenue ensuite correspondante de guerre qui pose d’emblée le cadre : «Une chorégraphie ? Je ne comprends rien à cela ! Si je trouve que ça ne correspond pas à mon histoire, vous n’aurez qu’à l’appeler autrement.»

Châteauroux découvrira « On l’appelait Rainer » chorégraphié sans que Madeleine Riffaud n’émette la moindre réserve. «C’est le plus gros spectacle que j’ai fait et le plus marquant aussi, insiste Nadia Coulon. Un décor avait été créé pour l’occasion. Il y avait de l’engouement autour. Ça a été « The spectacle of my life » !» Il tournera dans la région jusqu’en 2000. En parallèle, Nadia Coulon assure les cours dans son école de danse Darc, ouverte en 1975 en même temps qu’elle crée avec son compagnon Max Ploquin et Nicole Ivars un nouveau stage-festival qui porte le même nom. Darc, l’autre aventure d’une vie : «C’est vrai que Darc a un poids particulier pour moi. À l’époque, Daniel Bernardet, le maire de Châteauroux, voulait que nous fassions nos preuves. Il nous a laissé le gymnase de Belle-Isle et la salle des fêtes. Nous avons fait venir des gens avec lesquels nous avions l’habitude de travailler. L’idée, c’était de décloisonner la danse.»

La Rose dégoupillée

Près de 50 ans plus tard, le stage-festival Darc est toujours là, fort d’une réputation internationale. Nadia y a enseigné chaque été jusqu’en 2013 avant de se tourner vers d’autres horizons, notamment la création de l’association Made in Jazz avec Mylène Riou (2014). «Made in Jazz, qui porte « La Rose Dégoupillée », a été créé pour monter des spectacles en commun, avec d’autres professeurs d’écoles de danse de Châteauroux.» En résultera des spectacles présentés à l’Espace des Halles. Mais en décembre 2015, Mylène Riou est emportée par la maladie. «Son décès nous a tous anéanti» glisse Nadia, très émue. La disparition de Mylène Riou, le COVID ; Made in Jazz s’accorde plus ou moins bien des aléas de la vie avant que celle-ci ne reprenne son cours.

L’école de danse accapare Nadia Coulon jusqu’à ces vacances de Noël 2022 où Madeleine Riffaud va de nouveau s’inviter dans le quotidien de la professeure castelroussine. «Mes élèves ont revu le DVD du spectacle de 1995. Elles voulaient le danser. C’est parti comme ça.» Depuis novembre dernier, les répétitions ont débuté et le projet vampirise l’agenda de Nadia, mettant son «cerveau en ébullition avec la préparation du spectacle de fin d’année de l’école. On reprend certaines chorégraphies, John Boswell a réécrit toutes les musiques. Il y a de l’action et beaucoup de pression.» Nadia a rendu visite à Madeleine Riffaud pour lui faire part du projet.

«Elle avait été touchée par la première chorégraphie. Elle a validé la version 2023. Pour ma part, j’ai le trac, mais surtout une grande envie de refaire cette histoire de Madeleine, pour Madeleine et pour mon père.» Madeleine Riffaud aura 100 ans en août prochain. Rainer, son nom de résistante, a désormais perdu la vue, mais ne renonce pas à fumer le cigare de temps en temps. La vivacité d’esprit est toujours là. L’énergie aussi. Nadia Coulon s’en inspirera pour son spectacle évidemment dansé à Équinoxe…

A lire…


Pour en savoir plus sur Madeleine Riffaud, direction le rayon livres pour y trouver « On l’appelait Rainer : 1939-1945″, entretien avec Gilles Plazy (Julliard, 1994). Chevalière de la Légion d’honneur et élevée dans l’ordre national du Mérite, elle est également l’héroïne d’une BD parue chez Dupuis : « Madeleine, résistante-la Rose dégoupillée » (2021) et « L’édredon rouge » (2023). Le tome 1 a valu à Jean-David Morvan et Dominique Bertail le Prix Goscinny 2022 qui récompense un auteur de BD pour la qualité de son scénario.

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