Denis Giraud, glorieux ancien
Son Atelier D à Châteauroux fête ses 20 ans. Coup de projecteur sur un tatoueur assagi
par Nicolas Tavarès
Certains le décrivent «complexe» ; d’autres comme Lucette, son apprentie, le voient «entier, professionnel dans tout, investi, ambivalent». Tous s’accordent «sur ce grand cœur qu’il cache comme le font souvent les gens bourrus.» «Il est très sensible» ajoute même Lucette. Denis Giraud, tatoueur de son état, promène également un franc-parler qui le fait passer pour un fort en gueule auprès de ses détracteurs. Le 9 mars, le plus ancien brodancheur de Châteauroux, soufflera les 20 bougies de l’Atelier D, son shop qui a pignon sur la rue Grande.
Pour saluer la vingtaine, il a rameuté «des potes, des gens qui ont tatoué un jour à l’Atelier. Ce sera dans un esprit festif.» Une sorte de reconstitution de ligue dissoute avec un cercle de fidèles qui fréquentent assidûment la convention Ink’n Roll que Denis met sur pied chaque fin d’été et qui a vécu sa 10e édition en 2023. À 54 ans, le tatoueur castelroussin n’est plus un perdreau de l’année. Pour arriver à ce 9 mars anniversaire, il s’est durci la carapace au gré d’un parcours de vie entamé à Tours. À 15 ans, il quitte le nid familial, file vers la Normandie où il se frotte au milieu hippique. «J’ai été palefrenier, j’ai fait de la maréchalerie, mais ce n’était pas un truc où tu gagnes ta vie. Ce monde vit surtout sur la passion des gens.» Les canassons oubliés, Denis traîne un peu dans la rue.
Formé par une figure du tatouage
«Je n’étais pas un voyou, plutôt un loubard». Il en a retiré «la nécessité d’apprendre à se débrouiller et de ne jamais subir.» En reste une gouaille qui pourrait le faire passer pour un titi parisien tendance Apaches du XIXe siècle. La parenthèse sous les drapeaux, dans l’artillerie, intervient au bon moment. Quand il la referme, Denis se forme à la maintenance industrielle. «J’étais dans le montage de vestiaires, le rayonnage mobile puis le montage de chaînes automatisées. J’ai fait ça pendant 7 ans.» Il en a 25, Maryline vient d’entrer dans sa vie. Il prend alors la décision «d’arrêter de travailler pour les autres !»
Depuis un moment, il fréquente la boutique d’un tatoueur tourangeau. «Un jour il m’a laissé les clés. J’ai d’abord fait du piercing, j’étais le premier installé en shop en région Centre. Puis j’ai commencé à apprendre le tatouage.» Il passera sept années (encore) au contact de ce maître, «une figure du tatouage. Je lui dois un métier et bien d’autres choses, reconnaît-il. J’avais tous les défauts de la rue, il m’a équilibré, ré aiguillé.» Le mentor le pousse surtout à prendre son envol, enfin. Denis est tourangeau, Maryline a des attaches à Bourges, le couple se posera donc à Châteauroux : «Il n’y avait pas de tatoueur à Châteauroux, se justifie-t-il. Un pote originaire de la ville m’a présenté un agent immobilier.» Son premier shop ouvre le 3 mars 2004 au fond de la galerie Victor-Hugo, aujourd’hui disparue.
Histoires de transmission
En 2007, exproprié comme tous les commerçants de la galerie, Denis Giraud rejoint la rue Grande qui sied mieux à son commerce. Le voilà dans une location qu’il partage avec son associé « JP ». Le perceur investit le rez-de-chaussée, le tatoueur grimpe à l’étage. Là, dans un décor d’iconographies religieuses et d’estampes japonaises, il sort ses aiguilles pour laisser libre cours à son style old school et son intérêt évident pour le dessin japonais. «Je suis un tatoueur à l’ancienne, tempère-t-il. Je fais ce que les clients me demandent.» Entre temps, l’homme est devenu père de famille. Un garçon, Mattéo, une fille, Lola : «C’est l’essence, mon équilibre». Une sérénité qu’il a aussi trouvée dans le sport, ou plutôt dans les sports de combat. Longtemps instructeur fédéral de karaté, Denis a «donné un coup de main au club de boxe de Saint-Maur. J’ai été cutman et soigneur de Victoire Piteau trois ou quatre ans.»
Aujourd’hui, il garde un œil sur son fils Mattéo monté sur les rings et qui vient de disputer un quart de finale du championnat de France amateur. Il est question de transmission. Elle n’est pas seulement filiale. À l’Atelier D, Denis a joué à son tour les maîtres d’apprentissage. «Mon premier apprenti a été Ben Wasabi. Il était étudiant à Tours et se faisait tatouer par mon patron. Un jour, il a poussé les portes de la boutique à Châteauroux. Il voulait travailler avec moi. Il a dû rester deux ans et puis il est allé voir d’autres trucs. Il fallait qu’il revoit sa montagne.» Pointure du tatouage installé à Clermont-Ferrand, Ben Wasabi a ouvert la voie. «Après lui, il y a eu trois ou quatre tentatives, mais la philosophie de travail et la façon d’être ne me convenait pas.»
C’est que Denis a des principes : «Dans le temps, on était plus con, mais on avait de l’éthique. Aujourd’hui, c’est la course au pognon.» Lucette a elle aussi poussé les portes de l’Atelier D. «Elle était aux beaux-arts et venait régulièrement à la boutique. Son univers était intéressant. Tu formes pour que les élèves dépassent le maître et c’est le cas avec Ben et Lucette (photo ci-dessus). Elle a un niveau artistique au-delà de ce qu’elle fait actuellement au quotidien.» La jeune femme qui évoquait plus haut la sensibilité de Denis voit en lui un formateur «dur, mais c’est grâce à ça que je me sens bien dans mes baskets en tant que tatoueuse.» Le 9 mars, Denis a évidemment convié Lucette et Ben Wasabi sur la liste des invités des 20 ans de l’Atelier D. Il n’avait pas le choix de toute façon.