Aux origines de Santana Alcala

Rencontre avec un artiste touche à tout encore trop méconnu

par Nicolas Tavarès

Venu du street art, Santana Alcala revendique ses origines espagnoles et la mémoire ouvrière de sa famille comme vecteur artistique.

D’abord, planter le décor. Nous sommes devant la dépendance d’une maison qui se dresse sur les bords de l’Indre. Quelques marches à gravir. Une porte à pousser. Voilà l’antre de Santana Alcala. Côté face, il est responsable print, graphiste et vidéaste dans une agence de communication à Châteauroux. Côté pile, on le découvre artiste touche-à-tout qui court après le temps.

Dans son atelier, c’est tout un condensé de l’artiste qui s’expose. Au mur, une baleine de trois mètres de long semble léviter. De l’animal, un collage, transpire une sérénité qui embrasse toute la pièce où sont entreposés outils de découpe, pinceaux, crayons, l’incontournable ordinateur et surtout toiles, photographies ou livres qui sont l’essence de Santana Alcala.

Sur une étagère, « L’étranger » de Camus, « La fureur de vivre » d’Hubert Reeves, « Le Rapport de Brodeck » de Manu Larcenet. «Une grosse claque. J’en suis totalement fan parce que Larcenet se réinvente toujours» raconte le maître des lieux avant d’évoquer d’autres sources d’inspiration comme le mystérieux Banksy, le Français JR, l’homme aux collages XXL et surtout sa référence ultime, Ernest Pignon-Ernest, précurseur de l’art urbain.

«Wem a disparu»

Artistiquement, Santana évolue à une toute autre échelle. À 38 ans, il n’a jamais vraiment cherché à mettre son travail dans la lumière. L’homme dit qu’il aimerait vivre de ses collages et autres toiles, mais dans son propos pointe souvent le manque de temps pour se révéler. «Je suis prêt à répondre à des commandes de particuliers, mais je n’aime pas me mettre en avant. Je prépare une exposition sur les animaux en voie d’extinction (en février, à la médiathèque d’Ardentes, ndlr). Je sais déjà que je ne serai pas à l’aise avec le discours du vernissage…»

Le talent est là pourtant, qui a commencé à éclore. Toutefois par timidité ou un trop plein d’humilité, Santana Alcala semble sur la retenue. C’est d’ailleurs sous pseudo (Wem) qu’il a commencé à laisser sa trace sur les murs de la ville. «Mais Wem a aujourd’hui disparu» élude l’intéressé qui a donc dû tomber le masque pour exister.

S’il s’épanouit à la campagne, c’est bien de la culture hip-hop et de l’art urbain qu’est issu Santana. Il revendique le street art tout autant que ses origines ouvrières et ses racines ibériques. L’Espagne et le monde ouvrier sont ses piliers et c’est par la photographie que Santana a d’abord traduit ses émotions.

La faute à un grand-père qui lui a transmis la passion «et qui dessinait comme De Vinci!» Il s’appelait Antonio. Santana lui a rendu hommage à sa manière, par un collage qu’il a réalisé sur un mur de Barcelone. «Il était fils de Républicain et a connu la prison sous Franco. J’y ai aussi collé plusieurs autres silhouettes de Républicains espagnols.»

Le portrait de ses grand-mères

C’est maintenant à ses grand-mères qu’il voudrait consacrer de nouveaux collages : «Elles vivaient dans le quartier Saint-Jean à Châteauroux. J’aimerais faire leur portrait et le coller en grand sur leur immeuble!»

Il y a là matière à un beau projet de mécénat artistique pour le bailleur! Santana a encore d’autres envies. Graphiste, photographe, vidéaste, monteur, peintre. Il a travaillé un temps dans un laboratoire numérique parisien où il transformait des films au format DVD. «J’ai restauré « La Haine » pour les 20 ans du film ou « Enfermé dehors » de Dupontel.»

Voué à l’éphémère

Inconditionnel de Scorcese, il se rêve parfois cinéaste, attendant la rencontre providentielle, «quelqu’un qui viendrait me voir avec un scénario pour un court métrage. Ou même pour une bande dessinée.» Avec Santana, le champ des possibles semble infini. Pour l’heure, il se résout donc à peindre et dévoile sa méthode. «Je travaille sur du bois aggloméré ou contreplaqué sur lequel je dépose un enduit avant de commencer ma toile.»

Côté collages, «je fais d’abord un crayonné sur une feuille de papier, puis j’utilise de l’encre ou de l’aquarelle avant de scanner le dessin. Je fais imprimer le tout en grande taille chez Laserphot. Il faut le citer parce que Ronan Bergot, le patron, m’a toujours aidé. À la fin, je colle la pièce comme une affiche.» Le résultat est souvent voué à l’éphémère. Santana a d’ailleurs longtemps bravé les interdits pour poser ses oeuvres dans l’ancienne usine Cerabati, aujourd’hui rasée.

Des traces de son travail persistent heureusement au Bruit qui Tourne, à Châteauroux, ou sous un pont non loin de son domicile. Sont posés là deux SDF qui ont servi de support à un documentaire (voir plus haut). Dans l’atelier des bords de l’Indre, il y a aussi ces portraits d’ouvriers du monde qui n’attendent que d’être montrés dans une exposition. «Il faudrait que j’aille voir les galeristes pour me faire connaître.» Sans doute une question de temps qui manque encore et toujours…

www.santana-alcala.art
Tél. : 06 11 76 63 33

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