Denis Moreau, homme de défix

Fan de BD, le Castelroussin est le gérant de deux librairies spécialisées

par Nicolas Tavarès

Grand passionné de bande dessinée depuis son plus jeune âge, Denis Moreau est devenu libraire après une longue carrière dans l’armée. Librairix Bourges et Châteauroux, c’est lui.

2005, quelque part dans le Cher. Un homme descend d’une tour de contrôle et va acheter une librairie. Voilà un pitch énigmatique qui pourrait donner lieu à une belle série BD dont Denis Moreau serait le héros. Il suffit juste de trouver le scénariste qui donnera du liant au récit. Pour le dessin, le premier choix se portera sur Philippe Caza, idole des jeunes années.

Et si l’auteur du « Monde d’Arkadi » n’est pas disponible, le crayon pourra être confié à Bernard Capo ou Laurent Astier, dessinateurs amis devenus parrains des deux librairies de notre personnage central. Denix – une fantaisie pour se souvenir qu’il est un grand fan d’Astérix et qu’il ajoute la lettre de fond d’alphabet à tout ce qui se termine en i – a maintenant suffisamment de relations dans le milieu pour dénicher les auteurs de sa biographie en planches et phylactères. Mais rembobinons le film de sa vie pour trouver l’explication à sa passion sans bornes pour la BD. Elle est suffisamment forte pour l’avoir conduit à devenir libraire indépendant, tout de même.

Sans hésitation, Denis Moreau dénonce sa nounou, coupable de lui avoir «offert (mon) premier album quand j’avais 6-7 ans. C’était un Tintin, « L’affaire Tournesol ». Je l’ai toujours…» Plus tard, il fréquentera «la bibliothèque du centre Racine. J’allais également chez Arcanes pour regarder les rayons de livres. Ça m’a donné l’envie de faire ce métier.» Le moment émotion viendra plus loin dans le récit. En attendant, voilà Denix étudiant à Poitiers où l’attend un DUT en génie thermique. Nous sommes en 1990. «Je voulais faire un cycle court, j’étais en résidence dans le centre-ville avec un groupe de copains.» Ils se surnomment les Arsène. «Ça a été six mois de fête. Quand je rentrais à Châteauroux, c’était pour me reposer. Mon père l’a vite compris. Un jour, il m’a montré un article sur l’armée de l’air qui recrutait.»

En Opex à Sarajevo

Le message est suffisamment clair ; Denix va donc frapper à la porte de la Grande muette. Et quand certains se rêveraient pilote de chasse, lui va opter pour le contrôle aérien. Des classes à Nîmes lui ouvrent une parenthèse de seize années, d’abord à Saint-Dizier (1992-2002) puis à Avord (2002-2005). Des épisodes marquants jalonneront son parcours : «Une opération extérieure (Opex) avec la Forpronu à Sarajevo pendant quatre mois pour former les contrôleurs aériens civils, puis une campagne de tirs en Norvège avec les pilotes de la base de Saint-Dizier.»

Quand il n’est pas en Opex, Denis Moreau en profite pour fréquenter les librairies BD de la région de Saint-Dizier. «J’allais à Nancy, à Reims pour faire mes achats de séries. Lorsque j’arrive à Avord en 2002, je tombe sur Librairix à Bourges. C’était le bonheur à dix minutes de chez moi!» Il ne faut pas le pousser beaucoup pour aller se balader dans les allées du festival Bulle Berry dont il devient un bénévole dès 2003. «Pour moi, un rêve était en train de se réaliser. Là je rencontre Philippe Caza. J’allais souvent dans la librairie Pythagore qui l’éditait à Chaumont. Quand je me suis retrouvé devant lui pour ma première dédicace, je tremblais.»

Librairix de Bourges à Châteauroux

«En 2004, au moment du débriefing du festival, Évelyne Dorie, alors propriétaire de Librairix, annonce qu’elle met la librairie en vente. Je n’en dors pas de la nuit. Le temps de réflexion a été très court. Je lui ai dit que ça m’intéressait et on est tombé d’accord pour une passation sur plusieurs mois. Un jour sur deux j’apprenais le métier à la librairie.» Évelyne et Denix s’associent à 50/50.

En 2006, le Castelroussin se met en retraite de l’armée et entame un congé de reconversion. Le 1er avril 2007, il devient gérant unique de Librairix Bourges. «Au début, je ne connaissais personne dans le milieu des auteurs BD. Très vite, j’ai organisé des rencontres dédicaces une fois par mois.» Dans la cité de Jacques Cœur, assisté de la fidèle Nathalix, «le pilier qui bouge de la Librairie», son commerce ne désemplit pas. 2013 arrive et sans qu’il soit affamé ou mené par un business plan, Denis Moreau, qui a toujours des attaches à Châteauroux, rencontre Élodie Bonnafoux, gérante de la librairie Arcanes. «Elle avait une grosse demande en bande dessinée, elle m’a proposé une association. J’ai dit oui de suite parce que je savais qu’il y avait un gros potentiel.»

Arcanix voit le jour rue Grande. Le temps fait son office et l’association s’arrête. Arcanes déménage : «Quand j’ai su que le local était libre, j’ai fait une offre. Pour moi, c’était beaucoup d’émotion.» Et c’est ainsi que Librairix Châteauroux a vu le jour. Aujourd’hui, à 51 ans, Denis fait partie du très sérieux club des Super Libraires, 90 membres dans toute l’Europe. Il emploie sept personnes qui le dépeigne comme «un boss profondément humain.» À Bourges, Librairix s’est agrandi en novembre dernier avec une boutique uniquement consacrée aux mangas.

«L’esprit Librairix, c’est beaucoup de passion et un peu de folix. Mon père m’a toujours dit : « Fais ce que tu sais faire et ne cherches pas à en faire trop. »» Conseil appliqué à la lettre. Un jour, Denix est descendu tranquillement de sa tour de contrôle et depuis il relève tous les défix.   

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